Au milieu des années 1980, Franck Mesnel rejoint le Racing Club de France, après avoir tout plaqué pour intégrer l’équipe qui le fait rêver depuis son enfance.
À une époque où le rugby est encore amateur, il fait partie d’une nouvelle génération de passionnés de ballon ovale, qui prône un jeu plus audacieux, plus moderne, plus entreprenant. Des joueurs qui adoptent également une attitude à la fois impertinente et provocante, sans pour autant jamais manquer de respect à leurs adversaires.
Amitié, audace, fidélité, travail, insouciance, et un grain de folie sont les ingrédients de ce rugby qui bouscule les codes et les habitudes.
Rencontre avec Franck Mesnel, ancien joueur du XV de France et cofondateur d’Eden Park !
Quel rapport entretenez-vous avec la bande dessinée ?
Je fais partie d’une génération qui a grandi en lisant Tintin, Astérix, Gaston Lagaffe, Spirou... La bande dessinée a constitué un excellent moyen pour me faire aimer la lecture. Aujourd’hui, j’en lis occasionnellement, quand le sujet m’intéresse, ce qui ne m’empêche pas de la considérer comme un art majeur. Étant moi-même un créateur, je suis très sensible à l’association du texte et de l’image que propose la bande dessinée.
Pourquoi avoir opté pour ce média afin d’évoquer l’épopée du « Showbiz » ?
Je harcèle Philippe Guillard depuis des années pour que nous fassions un film sur le « Showbiz ». Il a connu une très belle réussite avec Le Fils à Jo, qui se passe dans le monde du rugby. Et il vient de boucler son cinquième long-métrage, qui à mon avis sera un vrai succès. J’aurais donc adoré qu’il mette en scène, un jour, cette histoire. Mais il ne veut pas... Comme je tenais absolument à la raconter un jour, il fallait donc que je trouve une alternative. C’est dans ce contexte que l’idée d’en faire une bande dessinée est arrivée un peu par hasard...
Comment prenez-vous contact avec Bamboo ?
C’est grâce à une femme qui a une grande importance dans ce projet : Diane Launier, la directrice générale d’Art ludique. C’est elle qui a rencontré ma directrice de la communication. Nous nous sommes ensuite vus, nous avons commencé à discuter, à plaisanter, à réfléchir. Elle a fini par me dire qu’elle connaissait une maison d’édition de bande dessinée, Bamboo, dont la collection Grand Angle était susceptible d’accueillir ce type d’histoire. C’est aussi Diane qui m’a présenté le travail de Miras, auquel j’ai immédiatement accroché. Il a un coup de crayon absolument bluffant.
Pourquoi avoir choisi de travailler avec deux co-scénaristes ?
Nous avions déjà beaucoup avancé avec Philippe CHARLOT, quand il a fait preuve d’une honnêteté rare. Il m’a dit qu’il éprouvait une frustration terrible, car il adorait le rugby, mais qu’il n’en maîtrisait pas assez la langue. Il lui fallait s’associer à un autre scénariste pour mieux entrer dans le sujet. C’est à ce moment-là que le rapprochement s’est fait avec Philippe PELAEZ. Notez que, pour Miras, le rugby était également un monde totalement nouveau. Je l’ai tout de suite rassuré, en lui disant que ce n’était pas supposé être une histoire de rugbymen, mais avant tout une histoire de mecs, d’état d’esprit, de décalage. Cela l’a rassuré et, finalement, il a adoré dessiner ces décors, ainsi que ces ambiances sportives et festives qui lui étaient jusqu’alors inconnues.
Pourquoi souhaitiez-vous absolument raconter cette histoire ?
Il y a une philosophie derrière cette aventure, qui allie concurrence, engagement, travail, endurance, respect, et parfois violence... J’ai la conviction que l’éducation, l’instruction et le civisme devraient être les piliers de notre société. Ces valeurs sont exacerbées dans le rugby. Mais aujourd’hui, elles ne sont plus du tout à la mode. Alors qu’elles constituent pourtant la base de toute vie en société, elles sont vilipendées au quotidien. Elles sont devenues des gros mots, que l’on a plus le droit d’utiliser en 2023. C’est un vrai paradoxe, car, dans le même temps, tout le monde vante les mérites du rugby, alors que ce sport collectif de combat impose le respect strict de règles et autorise une certaine forme de violence... Entre la vie de tous les jours au sein d’une entreprise et celle sur un terrain de rugby, je ne sais pas laquelle est la vraie. Enfin si, je sais : il y en a une dans laquelle on ne peut pas trop tricher, car cela risque de mettre en péril l’intégrité physique des personnes concernées.
Pourtant, avec le « Showbiz », vous ne respectiez pas franchement toutes les règles...
La devise de l’école de Rugby est : obéir pour apprendre à désobéir. Nous avons été éduqués dans le zig, et nous sommes partis dans le zag. L’irrévérence et l’impertinence font avancer le monde. Mais il faut le faire avec intelligence et délicatesse. C’est comme pour la musique. On peut exploser les codes, mais il faut d’abord passer par les gammes. Il faut des bases pour faire la révolution. D’ailleurs, Che Guevara n’a-t-il pas pratiqué le rugby dans sa jeunesse ? Avec le « Showbiz », nous avons mis le feu au sein d’un rugby qui était très traditionnel, mais sans qu’il n’y ait jamais eu la volonté de tout casser.
Pensez-vous qu’il soit aujourd’hui encore possible de jouer une finale de Top 14 en portant un nœud papillon ?
Bien sûr ! Je persiste à croire que c’est possible, malgré les enjeux, la pression financière, les règles, les agents... Je pense qu’il existe encore des mecs avec des personnalités suffisamment fortes pour ce genre de coups de folie. De toute manière, cela ne peut venir que des joueurs. Et les sportifs à la personnalité décalée ne sont pas l’apanage du rugby. Avec le « Showbiz », le code que nous avions instauré prévoyait que le port du nœud papillon, qui symbolise donc un certain état d’esprit, était exclusivement réservé à une finale, quelle qu’elle soit. Par contre, si l’on tente un tel coup d’éclat, on n’a pas intérêt à se rater. C’est le prix de l’irrévérence...
Comme des papillons évoque la trajectoire exceptionnelle des cinq membres du « Showbiz », le récit se place du point de vue de Franck Mesnel, et notamment de sa découverte du ballon ovale. L'album est à retrouver en librairie dès le 30 août.